Sur le changement
- laurentpages06
- 31 oct. 2024
- 3 min de lecture
« Nous avons toujours fait comme ça. »
Sans doute l'une des phrases les plus dangereuses au monde.
Inhibitrice de toute forme de mouvement, cette expression s’est ancrée dans un inconscient collectif, devenant une sorte de sclérose qui prive l’individu ou l’organisation de toute adaptation possible. Elle assure un sentiment de sécurité à une poignée d’égoïstes face à une autre poignée qui la combattent, à tort ou à raison, avec un esprit bien ou mal pensant – peu importe le jugement des intentions, car toutes sont discutables selon les points de vue. Cette phrase finit par s’ancrer profondément, de manière unilatérale, jusqu’au jour où la rupture s’impose.
À l’image d’une corde, solide et rigide, qui résiste aux tensions exercées de toutes parts, elle finit par céder.
Rester immobile rassure ; freiner des deux pieds face à ce que l’on perçoit comme une menace permet de garder un semblant de contrôle. Après tout, cet autre, avec ses nouvelles idées, n’a rien à nous apprendre ; ce n’est pas ce « petit » qui va nous dire comment faire. Et cette cécité finit par se répéter jour après jour, imprégnant les murs de l’organisation, indépendamment de ceux qui s’y installent, gangrénant, tel un champignon, les rêveurs et les quêteurs de sens.
Hier encore, l’iPhone n’existait pas. Hier encore, nous rencontrions notre assureur ou notre banquier, qui voyait la famille s’agrandir au fil des souscriptions aux services. Les voitures hybrides et électriques n’étaient que des projets de « savants-fous », dont les croquis ne faisaient rêver qu’une poignée d’utopistes désireux d’un monde meilleur.
Ne sommes-nous pas en train de nous accrocher à des branches un peu trop sèches, espérant figer encore un peu ces acquis qui nous rassurent ? Face à celles et ceux pour qui tout va trop vite, l’équipe des « il faut aller vite » continue son chemin, comptant sur le temps pour effacer les stigmates de leur désir de conquête, pendant que d’autres observent le TGV de la vie passer, leur valise sagement posée à leurs pieds, sur le quai de la gare.
De ce syndrome quasi maladif naît une peur soudaine de l’avenir, un grain de sable qui fait dérailler la mécanique bien huilée de la routine. Malgré l’inefficacité du système, le statu quo rassure, et la seule chose qui change, c’est la date sur le calendrier qui avance inexorablement.
« Une souffrance sans souffrance, confortée dans un inconfort statutaire. »
Une question me taraude l’esprit : pourquoi ?Pourquoi renoncer à ce qui peut être amélioré ?Pourquoi vouloir rester figé dans une facilité existentielle ?
Elisabeth Kübler-Ross, psychologue suisse, a démontré dans ses travaux que les personnes vivent les changements de manière presque identique. Presque, car certaines variables influencent ces réactions : l'importance accordée à la situation, la portée du changement, la façon dont il est introduit, et la capacité de chacun à surmonter les épreuves de la vie.
Que le changement touche la sphère professionnelle ou personnelle, l’obstacle demeure souvent cet autre : cet autre qui pense différemment, cet autre qui impose ses choix et que l’on connaît si peu. Il y aura toujours un avant et un après… au fond, le changement finit par s’imposer.
« Manager, c’est faire converger des idées divergentes. »Un adage applicable à toutes les sphères de la vie, même si les imprévus en font aussi partie : un deuil, une naissance, une panne, un accident, une maladie. La vie, fondée sur nos expériences, touche également l’entreprise, elle-même composée de vies individuelles.
Chacune des personnes qui forme l’organisation s’efforce de porter les choix, les envies et les désirs d’un lendemain. Certains choix sont plus complexes que d’autres, certains avisés, d’autres plus sombres et contraints, mais la pilule du changement devra toujours être avalée. Cette contagion s’adapte et se duplique jusqu’à atteindre le but ultime.
Les jours, les semaines et les mois passent, tout change, et ce changement finit par s’inscrire dans une sorte de stabilité contradictoire.
Nous nous sentons protégés par cette illusion de contrôle, mais cela reste une illusion, perturbatrice d’une douce quiétude utopique.
Le changement est une force inexorable, et, qu’on le veuille ou non, il finit toujours par s’imposer. Résister à cette évolution peut donner un sentiment de sécurité, mais c’est une sécurité illusoire, fondée sur le refus de voir que le monde continue de tourner. Ceux qui choisissent de rester immobiles face au mouvement risquent d’être figés dans un passé qui ne répond plus aux besoins d’aujourd’hui.
Au fond, le vrai défi n’est pas d’accepter ou de refuser le changement, mais d’apprendre à l’accueillir avec discernement, d’en faire un levier plutôt qu’un obstacle. En acceptant de lâcher cette « corde » tendue à outrance, on ouvre la voie à une forme d’adaptation qui, loin de nous faire perdre le contrôle, nous ancre dans une réalité en perpétuelle transformation.
Le changement ne nous demande pas de renoncer à notre identité, mais de la réinventer sans cesse pour continuer d’avancer.
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